– Excusez-moi, vous ne connaîtriez pas une Maxime, par hasard ?

– Un proverbe ?

– Une femme !

Camille, inquiète.

– Et vous lui voulez quoi à cette femme ?

– Lui parler, juste lui parler.

Cam s’agrippe.

– Lui parler… Juste à elle ?

– Vous la connaissez ou pas ?

– J’en connais une… Mais je ne sais pas si c’est celle que vous cherchez.

– Une femme qui s’appelle Maxime, il ne doit pas y en avoir cinquante.

– Peut-être…

Le jeune mec gigote sur ses pieds, se frotte les paumes des mains comme s’il avait froid.

– Vous savez où je peux la trouver ?

Il sort son portable.

– Un numéro peut-être ?

– Oh là, doucement. Je ne donne pas les numéros comme ça.

– Mais vous l’avez ?

– De quoi ?

– Ben, son numéro.

– Je ne crois pas, non.

– Ah…

Il semble déçu de la réponse et range son téléphone dans la poche arrière de son jean.

– On pourrait se poser dans un café ?

Il est bien entreprenant ce garçon.

– Pourquoi c’est moi que vous avez abordée sur le trottoir ?

– J’ai une photo, une photo qui a plus de trente ans, mais vous lui ressemblez beaucoup à la fille qui est dessus.

– Vous l’avez là, la photo ?

– Oui…

– Faites voir.

Le mec fouille dans la poche intérieure de son blouson et tend le papier cartonné à Cam.

– Ça fait plusieurs fois que je vous croise dans le quartier et à chaque fois, je me dis que ce doit être vous qui êtes sur cette photo.

Je me penche par-dessus son épaule pour regarder. Ah là là, d’où il sort cette photo ? C’est bien Camille dessus ! À côté, je sais aussi que c’est moi, mais mon visage, de trois quarts arrière, est tellement tourné qu’il ne peut pas me reconnaître. Ça fait un bail ! On avait tout juste une vingtaine d’années… Vingt-cinq peut-être… C’était où déjà ? Je ne sais même plus… Mais qu’est-ce que Cam fait gamine là-dessus ! Elle reprend sa discussion avec le mec.

– Vous n’étiez pas né à cette époque !

– Non…

– Pourquoi vous me recherchez ?

– À vrai dire, c’est l’autre que je cherche.

– Ah…

– Mais on ne la voit pas bien, je ne peux pas la reconnaître avec ça.

– Et vous n’avez pas d’autres photos ?

– J’ai retrouvé que celle-là.

Depuis le début, je me tais, mais là, j’ai une envie pressante.

– Café ?

– Oui, Ma…

Camille s’arrête net, on a eu chaud aux plumes ! On se pose l’une à côté de l’autre, à une table de quatre, et le petit mec s’installe en face de nous.

– Vous vous appelez comment ?

– Samuel.

De nouveau, le silence s’établit entre nous. Que lui dire à ce garçon ?

– Bon, Samuel, la photo, je la reconnais.

Il a les yeux qui pétillent.

– Et l’autre, à côté.

– Il y a si longtemps…

– Mais vous la connaissez la femme d’à côté ?

On lui ment ? Il faudrait déjà savoir qui c’est ce mec ! On ne va pas étaler notre vie dans le vague.

– Je me reconnais très bien sur votre photo, c’est bien moi, effectivement.

– Et l’autre, c’est Maxime, non ?

– Il faudrait déjà que je me souvienne… Des années je vous dis, ça date de mes vingt ou vingt-cinq ans peut-être… En tout cas, je n’avais pas encore trente ans.

– S’il vous plaît, faites un effort.

– Pourquoi vous cherchez cette femme ?

– C’est compliqué… Je ne peux pas le dire comme ça… Faudrait… Il faudrait… Je ne sais pas… Mais ce n’est pas facile…

Allons bon ! Pourquoi je végète au fond d’une histoire si compliquée qui date de Mathusalem ?

– Il faudrait déjà s’assurer que la Maxime que vous recherchez est bien celle que je connais.

– Comme c’est bien vous sur la photo, c’est forcément la même Maxime.

– A moins que j’en aie connu plusieurs.

– Ah ?

Le regard du mec se trouble. Cam lui colle le doute mais elle ne le laisse pas mariner trop longtemps.

– Bon, admettons que j’en ai connu une et que ce soit la même que la vôtre…

– Oui…

– Qu’est-ce qui est si compliqué ?

Le mec baisse les yeux, regarde son café qu’il tourne sans cesse.

– L’histoire… Là d’où ça vient…

– De quoi ?

– Ben, tout ! Tout vient de là.

– De cette photo ?

– De cette époque surtout…

– Ah…

Je fouille dans ma mémoire. J’essaie de me souvenir de quand c’était réellement. Qu’est-ce qu’on faisait à en ce temps là… Je ne me rappelle plus… C’est chaud… Pourquoi il nous recolle notre passé dans la tronche ? Je ne sais même plus si à ce moment-là, c’était une partie de ma vie agréable ou non. Et Cam ? Elle sait ou elle a oublié ?

Le mec pose ses yeux, tantôt sur elle, tantôt sur moi, tantôt sur sa tasse de café vide. Pourquoi il recherche l’autre femme de la photo ? Maxime… Moi !

– Si vous ne m’en dites pas davantage, je ne peux pas faire grand-chose pour vous.

– Ça fait un moment que je vous ai reconnue, mais d’un autre côté, ça fait si peu de temps aussi… J’ai pas du tout pensé à la façon de vous aborder…

– A quoi me dire, non plus. Vous êtes perturbé par votre audace ?

– Un peu oui…

– Vous semblez effectivement troublé.

– Je suis ému surtout… J’ai l’impression que je vais enfin arriver à quelque chose que j’attends depuis si longtemps…

– Et ça vous inquiète ?

– Ça me fait un peu peur, oui…

– Ecoutez… Samuel, c’est ça ?

– Oui.

– Bon, Samuel, je vous propose que vous y pensiez de votre côté, moi j’essaie de me souvenir aussi et on se retrouve un autre jour. Vous voulez ?

– Je vous retrouve comment ?

– Comme tout à l’heure.

– Et pour Maxime, son numéro ?

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Cette nouvelle fait partie du recueil « Trois semaines » qui comprend :

Trois semaines – Samuel – Les mômes – Reflet – Voyages.