Je trouve un boulot dans une boite privée de petits bourges. Prof ! Qu’est-ce que je vais bien pouvoir leurs faire faire, à ces mômes ? Prof de français…
– Bonjour, je viens pour le remplacement.
– Ah, très bien, bonjour. Vous êtes Madame, heu…
– Rodgilane, Maxime Rodgilane.
– Oui, c’est ça. Venez, je vous montre.
Il veut me montrer quoi ? Des ados, je vois à peu près à quoi ça ressemble ! Je le suis dans cet immeuble, transformé en école. On se fait les escaliers. Trois étages de salles de classe et le rez-de-chaussée pour l’administration.
Je ne voudrais pas habiter au quatrième… Et la sieste… En semaine, c’est mort !
Je suis en avance pour cette première journée et les ados sont encore dans le métro à cette heure. On est revenus dans son bureau, il me colle dans les pattes un emploi du temps. Je jette un œil dessus. Tous les matins, je commence à huit heures trente. Bouh ! Trois après-midis de libres quand même. Et le lundi, je viens pour les deux premières heures.
– Suivant le temps que je reste, on pourrait faire quelque chose pour les deux heures du lundi ? Deux heures et puis plus rien, c’est ballot !
– Je vais voir avec quel autre professeur vous pourriez intervertir ces deux heures. Je vous tiens au courant.
Il m’emmène dans la salle des profs. Une pièce avec des barreaux aux fenêtres, on est toujours au rez-de-chaussée. Une prison ! L’endroit est désert. Voilà un mec qui entre puis encore une autre. Ça se remplit doucement. Les présentations au fur et à mesure que les profs se pointent. J’ai des secondes et des premières à m’occuper. Le bac français est, pour certains d’entre eux donc, à la fin de l’année. Enfin, de la leur… En juin ! Une prof d’une quarantaine d’années arrive toute pimpante. Une bourgeasse, elle aussi ! Elle se dirige directement vers moi en me tendant la main.
– Bonjour, je suis Madame Keffer, Louise Keffer.
Quel accueil ! Je lui serre la pogne.
– Bonjour… Maxime !
– Louise, je m’appelle Louise.
– J’ai bien compris… Maxime c’est moi… La remplaçante du prof de français.
– Ah ?
– Où est la salle 22 ? C’est là que je dois être ce matin.
– Au second, vous viendrez avec moi, je suis dans la 24, juste à côté. Café ?
La machine fait que de mouiller la poudre. Elle débite l’eau chaude, pour le reste, il faut actionner une petite manette sur le côté. C’est primaire comme distributeur.
– Pour fumer, c’est sur le trottoir j’imagine.
– Ah oui, je vous accompagne.
Elle ne me lâche plus. On sort avec nos gobelets à la main. Je le pose sur le rebord d’une fenêtre et allume une clope. Elle ne fait rien, je m’étonne.
– Vous ne fumez pas ?
– Non, juste je viens avec vous.
– Ah, c’est gentil.
Je n’ai rien à lui dire à cette femme. On est là, l’une en face de l’autre et pas de mots de ma part. C’est elle qui embraye.
– Vous étiez dans quel lycée avant ?
Je n’avais pas prévu cette question… Je n’étais nulle part. Pas dans l’enseignement en tout cas. Je lui mens ? Oui !
– Et bien… En province…
– Ah, je ne pourrais pas me passer de Paris.
Moi non plus, mais tel que j’ai commencé, je suis coincée. Jusqu’où je vais aller dans mon mensonge sans me planter ? Je ferai mieux de remettre tout dans l’ordre avant de me payer une évidente gamelle.
– La province, c’était il y a longtemps. Ça fait un moment que je suis sur Paris.
– Et sur Paris, donc, dans quelle école avez-vous…
Merde, elle fait chier avec ses questions. Bon, j’invente !
– Les CFA surtout.
– C’est un public difficile dans ce genre d’établissement. Vous devez être rodée alors.
– Rodée, je ne sais pas, mais en CFA, ce n’est pas si compliqué que ça.
En fait, je n’en sais rien… Et je m’en fous tellement ! J’avale mon café d’un coup et jette ma clope dans le caniveau. Que ça s’arrête ! On rentre dans l’immeuble.
– On passe par la salle des profs et je vous emmène dans votre classe ?
Je la suis. La pièce est blindée de monde. Que de profs pour une si petite école ! Les présentations, elle s’en charge, c’est parfait ! L’escalier et la salle où je dois sévir pendant deux heures. A peine je suis entrée que le dirlo se pointe. Il me fait faire la connaissance des ados que je vais supporter ce matin. Ils ont l’air bien calme, c’est étonnant. Le mec s’en va et le brouhaha commence.
– Prenez une feuille, vous la pliez et inscrivez en gros votre prénom de manière à ce que je puisse le lire d’ici.
Ils s’exécutent. Les espèces de chevalet commencent à garnir les bureaux. Les prénoms reflètent bien l’origine de ces gamins. Si j’avais vraiment été en CFA, ça aurait certainement été différent, mais là… Quelle misère !
– Pour que je vous connaisse un peu, je vous propose de faire une dissertation, bien construite, sur un sujet qui vous intéresse.
– On prend ce qu’on veut ?
– Oui, c’est juste pour que je vous découvre un peu. Votre sujet sera pour moi, aussi révélateur que la manière dont vous allez le traiter. Mentionnez-le en premier sur votre devoir !
Ils se mettent au boulot et en attendant, je n’ai rien à faire. Par contre, après, il va falloir que je me fade la correction de leur production.
La sonnerie retentie pour la seconde fois, les deux heures sont passées assez vite. Ils se lèvent et déposent leur travail sur le bureau en sortant de la classe. Je me retrouve avec un paquet de copies un peu gros à mon goût. Le tout sous mon bras, je dégage de la salle. Dans les couloirs, je croise le directeur.
– Tout s’est passé comme vous le souhaitiez ?
– Oui, parfait, merci.
– Pour les deux heures du lundi matin, le professeur de physique veut bien permuter avec vous contre deux heures le jeudi après-midi.
– C’est très aimable à lui.
– Puisque vous avez déjà assuré ces heures aujourd’hui, nous démarrerons la semaine prochaine.
– Très bien, remerciez-le de ma part. Je vais y aller, ma journée est terminée et j’ai des corrections.
– Déjà ?
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Cette nouvelle fait partie du recueil « Le blouson » qui comprend :
Le blouson – Cinquante et plus – L’annonce – Chahut – Son ex – Passion