Elle déambule sur le trottoir qui descend doucement vers le quai. Ses pas légers, un brin de travers, lui donnent un petit air dansant. Son visage affiche la gaieté du moment précédent sa sortie dans la rue. Vêtue d’un slim, de ballerines et d’un pull un peu lâche, elle avance sans se soucier de ce qui se passe autour d’elle. Je suis là, adossée au mur, appuyée contre une descente de gouttière, les pieds croisés, les mains dans les poches. Ma gapette me couvre les yeux. Il faut que je lève le nez pour voir sa tête. Allez, j’avance un pied ? Elle va se casser la gueule… Allez, chiche ! Je le fais. Elle trébuche, je la rattrape comme je peux. Nous voilà emmêlées pour qu’elle se redresse.

– Je suis désolée.

– Même pas mal !

Elle est debout face à moi. Ses yeux clairs me perforent. Je ne sais plus où poser les miens.

– Pour me faire pardonner, je vous offre un café ?

Elle frotte son slim tâché sur la jambe droite.

– D’accord. Il faut que je trouve un peu d’eau pour nettoyer tout ça.

Je me décolle du mur et avance vers le premier bistrot du coin. Elle me suit. On entre et on s’installe dans le fond, à une table de quatre.

– Café, donc ?

– Oui, merci. Je file aux toilettes et je reviens.

Je commande et ils arrivent, accompagnés de deux verres d’eau.

– Je suis vraiment désolée…

– Je n’ai rien, arrêtez de vous inquiéter.

Bon, si elle le dit ! Quand même, moi je la vois, la tâche sur son genou droit. Tout n’est pas parti.

– Le genou, ça va, vous êtes sûre ?

– Je sens celui de droite, mais bon, ce n’est rien.

– Il a heurté le sol celui-là.

– Vous croyez ?

– Si j’en juge par la tâche… Oui !

Elle se penche et regarde.

– Ah, merde, ça se voit encore. J’ai un rencard… Je ne peux pas y aller toute crade.

– C’est important ?

– Pour un film, oui, je cours les cachetons.

– Pff…

– Quoi ?

– Rien.

Son visage affiche une expression déçue, ou plutôt emmerdée. Je ne sais pas trop…

– Je vous accompagne, je dirais que c’est de ma faute.

– Je suis assez grande, c’est bon ! Je peux me démerder toute seule.

– C’était juste pour rendre service.

– Pour me rendre service, il ne fallait pas me faire casser la gueule.

– Je vous dis que je suis désolée.

– Mmm…

Elle finit son café et se lève.

– Bon, j’y vais. Adieu !

– Adieu…

Elle quitte les lieux d’un pas rapide. Elle va encore se vautrer !

Je traîne un long moment dans ce rade pourri. Le journal, abandonné sur la table d’à côté va faire mon affaire. Je parcours les pages, rien ne m’intéresse. Je me fous de tout. Du monde, de ses malheurs, de tout. Je tourne les pages et tombe sur les mots croisés impossibles. Je m’y essaie. Les définitions… Grave ! Elles se rapportent à des trucs que je ne connais pas, des jeux de mots que j’ignore ou des définitions à la mords-moi le nœud. J’abandonne le canard, en vrac sur la table, là d’où il vient. Mon café est terminé depuis un moment déjà. Le mec me regarde de travers, je ne commande rien d’autre et ça l’énerve un brin. Deux heures de place assise, bien au chaud, pour un euro cinquante… C’est plus avantageux que le cinoche ! Je finis par déguerpir et lui libérer sa table de quatre.

L’envie de voir du monde me prend. Je téléphone à ma pote, qu’elle me rejoigne !

Je l’attends à La Clé du Bois, ce petit bistrot, plutôt sympa, mais surtout très calme. Je m’installe derrière la vitrine et regarde passer les gens. Ils évitent, avec plus ou moins d’adresse, les flaques d’eau laissées par la pluie. Et plouf ! Un gamin saute à pieds joints dans une grosse flaque. Sa mère lui en claque une, direct ! Le môme braille pendant qu’elle le tire par la main. Ils marchent tous les deux de travers. La porte s’ouvre dans un grand courant d’air. Ma copine Camille ! Je lui fais signe. Elle vient s’asseoir en face de moi.

– Qu’est-ce qui te prend de me faire venir dans ce trou ?

– J’aime bien cet endroit.

– Ah…

On discute de tout et de rien. Surtout de rien. On regarde les gens, on se moque un peu et ça nous amuse. Elle a le regard brillant… On rit trop ? Je ne sais pas…

– Bon, comment tu as atterri là ?

– Cette fois, complètement par hasard, je me suis emplafonné une meuf.

– Tu as une façon très délicate de draguer, ma chérie !

– Je ne drague pas… Tu sais bien que j’en suis incapable…

– De toute façon, tu ne les reconnais même pas.

– Ben non !

On bavasse encore un moment et on quitte les lieux. Il pleut toujours. Quel temps de merde !

Elle me raccompagne jusque chez moi.

– Tu montes ?

Elle me suit. À l’appart, on vire nos pelures trempées qu’on laisse dégouliner dans l’entrée. On se pose dans le salon.

– C’est nickel chez toi, pour une fois…

– Mais… Heu…

– Avoue que c’est souvent le bordel !

Elle a raison…

– Et si on partait ?

– Où ça ?

– Je ne sais pas… Mais la pluie, j’en ai marre…

– Pour trouver le soleil en ce moment, il faut aller loin !

– La côte… Si on va sur la côte… On va le trouver, le soleil.

Elle se gratte la tête.

– Écoute, Max, j’ai des jours possibles, mais pas avant la semaine prochaine.

– Ok, ok, on attend la semaine prochaine, mais on part… Promis ?

– Promis !

On n’est que mardi… La semaine prochaine, c’est dans longtemps… Comme je n’ai rien à faire, ça peut durer encore.

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Cette nouvelle fait partie du recueil « Mariage » qui comprend : 

Mariage – La mère de Cam – Et elle s’appelle ? – Maison de pêcheur – Cuisine – On aura tout vu !