– Ah là là ! Mais qu’est-ce qui t’arrive ?
– Rien, Cam…
– Tu es toute bizarre.
– Tu trouves ?
– Ben oui… Depuis quelques jours… Ton regard… C’est celui d’une autre.
– D’une autre ?
Mes yeux partent dans le vide du salon. Le tapis, les fauteuils. Mes genoux.
Je me laisse tomber en arrière et c’est le plafond, nouvelle base de ma méditation. Que faire ? Que dire ? Que lui dire sans que ça crée toute une histoire ? Simplement peut-être…
– J’ai repéré une maison.
– Une maison ? Mais où ça ?
– En Argolide.
– Pour les vacances ?
– Pour tout le temps.
– Heu… Et pourquoi l’Argolide ?
– Parce que c’est beau.
– Et on vit de quoi ?
– D’amour et d’eau.
Elle me coupe.
– Arrête tes conneries… Pas d’eau !
On rigole. Pas d’eau, non. Du rosé peut-être, mais pas d’eau !
– Alors je ne vais plus au boulot et on part au soleil, c’est ça l’idée ?
– Oui, pourquoi pas.
– Mais Max, tu rêves…
– Ben non, pourquoi ?
– Et on vit avec quoi ?
– Ben… tes indemnités journalières !
– Ah oui ? Et lesquelles ?
– Une petite dépression et à nous le soleil !
– Tu es malade ma pauvre chérie.
– C’est toi qui vas te rendre malade. Qu’on parte !
– Pff…
C’est vrai, on serait bien là-bas… La mer à perte de vue… Le soleil qui tape à longueur d’été… Le temps qui passerait tout doux… Et puis, ce n’est pas trop loin d’une grande ville… Athènes à une heure de route…
– Bon, j’en fais quoi de l’annonce de la maison ?
– Tu la jettes ! Heu, non… Fais voir.
Je me lève pour connecter l’ordinateur au monde et la retrouver. Assise à la table à manger, je pianote pour l’afficher, qu’elle voie ! Sûr, ça va la faire craquer.
Elle vient se poser à mes côtés, je pianote toujours.
– Tu l’as perdue ?
– Attends…
Par où j’étais passée pour la trouver cette maison ? Je ne sais plus. Le nom de l’agence était grec, je ne peux pas m’en souvenir. Je fais défiler les écrans. Ce n’est pas possible, je n’avais pas été si loin. Je retourne au premier écran et en plein milieu…
– Ah, voilà, c’est cette agence-là !
Je clique et la page s’ouvre. On plante devant les photos qui se chargent une à une. La maison n’est pas dans le lot. Mode recherche, je remplis les critères et hop, c’est parti !
On attend, ça mouline grave. C’est l’heure où il y a du monde qui se promène. Cam se lève. Elle file à la cuisine et j’entends les bruits de verres, le bouchon qui saute.
Elle revient avec l’apéro et l’annonce s’affiche.
– Tiens regarde.
Elle actionne la roulette de la souris, la description défile.
– Traduis en français parce que là…
Ça mouline encore et le texte devient compréhensible. On a tout sous les yeux. Le prix, les indications sur le bien, tout.
Elle clique sur les photos et, une à une, elle les fait défiler. Au fur et à mesure que les couleurs passent, je vois son regard changer.
– C’est chouette, non ?
– C’est tout petit.
– La vue, tu as vu la vue ?
– C’est superbe, mais la maison est vraiment petite.
– Avec le temps qu’il fait là-bas, on vit dehors… Pas besoin d’un palace.
– Ce n’est pas faux.
Je sens que ça gamberge dans sa tête.
– Alors ?
– Quoi…
– Ça te branche ?
– Mais on fait comment, Max ? Tu es marrante toi…
– Je te dis… Une petite dépression et tu vas faire une cure de luminothérapie là-bas.
– Pff… Tu as de ces idées toi !
Elle clique sur les petites flèches et les photos défilent encore.
– C’est vraiment très beau.
– On met un message au mec ?
– Ah mais quelle précipitation ! Et on le trouve où le blé ?
– Tu parles toujours des choses qui fâchent…
– Je suis juste réaliste, pas comme toi.
– Mais, heu…
Je lui sers la moue habituelle qui accompagne mes mots. Elle se marre. Son doigt passe sur ma joue pendant qu’elle se lève.
– Allez, tu vas faire à bouffer ?
– Non, on sort.
– Si tu la veux ta maison au soleil, il faut faire des économies.
– Ah là…
Ce mot, économie, je le connais à peine… Mais elle a raison, ou alors ça restera toujours à l’état de rêve dans ma tête. Mais des économies pendant combien de temps ? Quelle galère ! D’ici à ce que j’arrive à amasser tout ça, la maison sera vendue depuis belle lurette. Il faudrait que je trouve une ruse. Le loto, c’est mort… C’est l’impôt de ceux qui n’en payent pas. Il faut que je fasse autrement et je ne suis pas héritière… Bouh !
– Mais Cam, elle te plaît au moins ?
– C’est magnifique, je t’ai dit. Petit mais magnifique, vraiment !
– Bon, super.
Une banane se dessine sur ma trombine. Elle sourit aussi.
– Allez, tchin !
– Tchin !
Mais nos verres sont vides. Je vais préparer le dîner.
J’arrive avec les assiettes déjà toutes remplies. Je m’approche quand elle ferme précipitamment une fenêtre du navigateur internet.
– Alors ?
– Quoi…
– Tu la regardais encore, non ?
– On ne peut rien te cacher à toi…
– Je savais bien…
– De quoi ?
– Que tu allais craquer !
– Oui, mais bon… On n’a pas les sous… Et puis, si on en veut des sous, il faut que je taffe encore…
– Un arrêt, je te dis… Une petite maladie de plusieurs mois… Tu serais payée à ne rien foutre et on pourrait bouger…
– Et comment je me fais une petite maladie comme tu dis ?
– Une dépression, ça ne doit pas être trop compliqué.
– Je n’ai jamais été déprimée.
– Ben c’est l’occasion !
– Pff…
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Cette nouvelle fait partie du recueil « Le palier » qui comprend :
Le palier – Arrangement – L’Argolide – Rassemblement – Yes, of courses ! – Lascives