Toc-toc !
Je m’approche de l’œil de judas et regarde. Sur le palier, se dessine une forme qui me tourne le dos. La porte de l’ascenseur est plus intéressante que la mienne ? J’admire en silence l’élégance de cette forme. Plutôt menue, les cheveux châtains mi-longs et ondulés. La silhouette est plantée là, dans le vide du décor. Elle se balance d’un pied sur l’autre, puis d’un coup se retourne. Je découvre enfin son visage… Merde, il me semble que je la connais… Mais alors, c’est qui ? Je me souviens très vaguement d’elle… Je ne sais pas quoi faire, je lui ouvre ou pas ? Je ne vais pas la laisser là… Ben si ! Je n’ouvre pas et je retourne au salon. J’entends à travers la porte, sa petite voix.
– Maxime, tu es là ?
Vautrée dans mon canapé, j’attends, les yeux rivés au plafond. Maintenant, c’est une autre voix qui m’atteint.
– Max, tu te réveilles, il y a du monde sur ton palier.
Je reconnais tout de suite, c’est Camille. La nana est encore là ? Ce serait les deux en même temps sur mon palier. Que faire ? Rien, je ne fais rien… Elles vont bien finir par redescendre, non ? Elles ne se connaissent pas mais je les entends bavasser. La femme est donc toujours là. Qu’est-ce qu’elles peuvent bien se raconter ?
Je m’approche doucement, sans faire de bruit. Mon oreille près de la porte, j’écoute.
– Je suis Louise et vous ?
– Camille.
Mais oui ! Louise… C’est ça… Louise, cette petite nana que j’ai croisée il y a bien longtemps… Je ne sais plus quand.
– Alors bonjour Camille !
– Bonjour Louise.
Par l’œilleton, je les vois. Elles se regardent en se souriant. La petite voix de Louise revient jusqu’à moi.
– Vous pensez qu’elle va revenir bientôt ?
– Je pense surtout qu’elle est là !
Les yeux tout étonnés de la femme me font presque rire.
– Pourquoi elle n’ouvre pas ?
– Elle dort sans doute…
– À cette heure-ci ?
– Maxime n’a pas d’heure.
– Ah…
J’écoute toujours, je les regarde encore. Elles ne vont pas passer la soirée sur le palier !
– Bon, qu’est-ce qu’on fait ?
Ah, voilà une bonne question de Cam.
– Je ne sais pas, on peut aller prendre un verre en attendant, ou vous avez quelque chose de prévu, peut-être ?
– Ah non, rien… Un verre, c’est bien.
Elles s’approchent de l’ascenseur et Cam appuie sur le bouton pour l’appeler. Je l’entends, brinquebalant, arriver à l’étage. Le couinement de la porte, elles pénètrent dans la petite cabine et la porte se ferme sur elles dans un souffle d’air. Elles disparaissent, le palier est à nouveau vide. Je vais à la fenêtre du salon et j’attends qu’elles sortent sur le trottoir.
Les voilà. Elles se dirigent à gauche, les bistrots. Lequel elles vont choisir ? Je les vois se tourner régulièrement l’une vers l’autre. Elles doivent se raconter plein de trucs. De quoi elles parlent ? Sans doute que le seul sujet qu’elles aient en commun, c’est moi. Alors elles parlent de moi ! Mais pour dire quoi ?
Une certaine curiosité me taraude. Les rejoindre ? Oui, mais dans quel troquet ? Je ne vais pas tous me les faire… Je patiente, on ne sait jamais, si elles réapparaissent au coin de la rue… Il ne faut pas rêver ! Cam peut tout à fait se débrouiller de Louise. Mais moi, je suis où ?
Je n’en peux plus, je me torture avec cette jalousie qui me ravage. Un blouson, je sors !
Sur le trottoir, je vais par la gauche, par là où elles sont parties tout à l’heure. La petite rue m’emmène à la suivante, pleine de terrasses où elles pourraient être posées. Mais la rue, je la prends dans quel sens ? Ah, je ne sais pas… Le bistrot préféré de Cam, c’est lequel ? Allez, je vais à droite. Je zieute les tables de dehors et ne les vois pas. À l’intérieur, c’est plus difficile de reconnaitre les gens. J’arrive à un carrefour quand je me cogne contre quelqu’un.
– Pardon !
J’entends pouffer de rire. Je relève le nez… Camille ! Dire que je la cherche partout et que je me l’emplafonne par hasard…
– Ben, qu’est-ce que tu fais là, toi ?
– J’ai rencontré Louise sur ton palier, tu vois, et comme tu n’ouvrais pas, on est venues se caler au bistrot pour attendre.
– Attendre quoi ?
– Ben toi ! Tu crois qu’on attendait qui sur ton palier ?
Je suis les bras ballants pendant que Cam sort ses clopes.
Elle allume une cigarette et me la colle direct entre les lèvres. Elle en sort une autre pour elle. Je ne sais pas quoi lui dire… Pourquoi Louise est venue jusque chez moi ?
– Ça fait longtemps que tu es là ?
– Depuis que j’ai trouvé Louise attendant désespérément devant ta porte close.
– J’étais… J’étais…
– Pas là sans doute… Ou tu dormais tellement profondément que même notre chahut sur ton palier n’a pas suffi à te réveiller.
– Quel chahut, je n’ai pas entendu de chahut ?
– Tu étais donc là… Je me disais bien aussi…
Je me fais piéger comme une débutante.
– Pff !
Les clopes sont finies, on rentre dans le troquet. Cam va vers la gauche, je la suis. Elle pose un regard tout à fait particulier sur moi. Ses yeux se plissent.
– Tu étais derrière la porte, non ? Je te sentais là, tout près… Pourquoi tu ne lui as pas ouvert, à Louise ?
– Pourquoi elle est venue ?
– Je ne sais pas, elle n’a rien dit là-dessus.
– Vous avez parlé de quoi ?
– Ben de toi forcément ! De quoi veux-tu qu’on parle ? Je ne la connais pas cette nana. Tu lui aurais ouvert, tu aurais eu un peu de temps pour parler avec elle… Elle a juste dit, avant de partir il y a cinq minutes, qu’elle reviendrait…
Lire la suite
Cette nouvelle fait partie du recueil « Le palier » qui comprend :
Le palier – Arrangement – L’Argolide – Rassemblement – Yes, of courses ! – Lascives